Tout le monde a connu dans sa vie une « histoire », plus ou moins longue, joyeuse ou atroce, qui commence mal et finit bien ou commence bien mais finit tristement, tout le monde a vécu à un moment de sa vie une des ces histoires dont on pourrait dire qu'elle pourrait faire l'objet d'un roman, ou au moins d'une nouvelle. Si si, je vous assure. D'ailleurs, je crois que si à 50 ans, on n'a pas vécu ce type d'histoire, on a un peu râté sa vie (tiens, ça me rappelle quelque chose, ça, non?). Je le sais car je les lis, ici ou là. Je le sais parce que parfois, on me les raconte. Je le sais, car quelque fois, je me fais cette réflexion-là, que la personne qui la vit pourrait la raconter par écrit, même s'il ne s'agit que d'une anecdote anodine pour d'autres. J'en suis sûre, cherchez bien, et parfois il n'est pas besoin de chercher bien loin. J'aime les histoires des uns, j'aime qu'on me les raconte, même si elles sont aussi souvent plutôt tristes, en particulier quand elle n'a pas encore trouvé d'aboutissement, et qu'on ne sait pas quoi faire pour aider, soutenir. On voudrait pouvoir les raconter à son tour, mais on ne peut pas, elles ne nous appartiennent pas, on aurait l'impression de commettre pire qu'un vol. J'aime qu'au détour d'une lettre, qui a certes perdu son support, mais pas vraiment son essence, faîte tour à tour de superficialité et de profondeur, on me dévoile une partie de son histoire, de son vécut, découvrir au fil des mots quelqu'un qui ne prend forme qu'à travers ces évènements. Il faut du temps pour cela, beaucoup de temps. Et puis bien entendu une réciprocité. Il paraît qu'on appelle ça un échange...
Je regarde donc toujours avec une certaine attente le contenu de ma boite à courriel, comme on attendait autrefois le passage du facteur, aussi triste de constater qu'elle reste vide que lorsque le préposé aux Postes ne s'arrêtait même pas devant sa maison, aussi déçue quand les courriers ne sont que des spams ou publicités sans intérêt, que lorsqu'il n'amenait que des factures, sans autres écritures sur une enveloppe susceptibles de donner le sourire et l'envie de la déchirer pour en découvrir le contenu. Mais aujourd'hui, on n'attend plus grand chose de son facteur, on en espère plus grand chose de ce type. Encore un métier sinistré.
Bref, si de grandes correspondances sont aujourd'hui très connues et font l'objet de livres qui les retranscrivent, si on connait aujourd'hui la correspondance qu'entretenaient de grands personnages qui ont laissé leur nom dans l'Histoire pour d'autres raisons aussi, peut-être dans quelques années, pourra-t'on retrouver ce genre d'ouvrage au sujet de longs échanges de mails, de courriels si vous préférez. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement. J'attends de voir cela avec une certaine impatience...
Si j'aime recevoir ces cadeaux épistolaires (prendre du temps pour poser des mots sur son clavier, et parler de soi, prendre aussi des nouvelles, s'inquiéter, c'est un cadeau parfois, souvent même, beaucoup plus précieux que bien des présents), j'aime aussi énormément y répondre. Parfois même, je me retiens de le faire dès la lecture finie, de peur de laisser penser à un certain empressement de ma part. Si empressement il y a, c'est seulement en raison des immédiates questions qu'aurait pu susciter la lettre, et les réponses qui se présentent immédiatement à celles éventuellement posées.
Tiens, et si on essayait, nous aussi, pour voir, ici même?
« Salut lecteur!
Comment vas-tu? J'ai l'impression de te parler beaucoup de moi, de m'étendre sur ma vie et sur mes petits tracas pas vraiment graves, mais au fond de ne pas savoir grand chose de toi. Tu as la forme j'espère? Et puis ce soleil, le printemps qui arrive, ce ne peut que être bénéfique sur ton état d'esprit! Je sais, en ce moment, ce n'est pas la joie, la crise, les manifs, les grèves, etc... D'ailleurs, tu as fait grève, toi, jeudi? Tu as manifesté? Moi, tu me connais, que de la gueule, je suis restée sagement chez moi. Et puis, tu sais, la foule, ce n'est pas trop mon truc... Bref, je suis lâche, rien qu'une dégonflée! Oui, je sais, je t'entends d'ici me dire que j'exagère, encore! Donc j'espère que tu me conteras ta journée.
Je ne suis pas allée au cinéma dernièrement. Je voulais aller voir Watchmen, mais pas y aller seule, et ma soeur m'a fait faux bond. Dommage, il paraît qu'il est bien. Ce n'est peut-être que partie remise... Et toi, tu as vu quoi ces derniers temps?
Sinon, je viens de finir un livre, enfin il me reste juste quelques pages, de Le Cléziot. Je pense que je t'en parlerais une autre fois. Je vais essayer ensuite de lire Jacques le Fataliste de Diderot, et puis je viens aussi de recevoir le livre dont je t'avais déjà parlé et qui serait un apprentissage de la sérénité. Espérons-le, je te tiens bien-entendu au courant. De sérénité, j'ai en effet besoin, je crois, en particulier pour retrouver le sommeil. Il paraîtrait que je me suis moquée de Morphée et qu'il me le fasse payer chèrement, le bougre! Pourquoi tout n'est-il pas plus simple?
Et toi, tu lis quoi en ce moment? Et comment va ta vie, tes états d'âme, tes humeurs?
Que fais-tu ce week-end? Une sortie de prévu? J'ai un rendez-vous demain, figure-toi, si si! (Yeeeees!) Alors croise les doigts pour moi, tu me connais depuis le temps, surtout ma propension à stresser pour rien... Et puis après, les jours suivants, je déménage mes parents, alors ne t'étonne pas de ne pas avoir de nouvelles de moi.
Quant au mien de déménagement, il est pour l'instant en attente, on verra ça plus tard, peut-être cet été.
Je crois que j'ai été déjà suffisamment longue, je sais que tu as des choses bien plus importantes à faire que de me lire.
Réponse attendue, hein, n'oublie pas! Tu sais que j'aime aussi te lire...
En attendant de tes nouvelles, je te souhaite un bon week-end ensoleillé et serein.
A bientôt!
Je t'embrasse,
Eurêka »